La cousinade virtuelle
Ce week-end prolongé du 1er mai, toute ma famille du côté maternel aurait du se réunir pour une cousinade près de Saumur. Cela faisait plusieurs années que nous ne nous étions pas vus tous ensemble. Tous : cinquante-cinq cousins, cousines, oncles, tantes, conjoints, conjointes, petits-cousins, répartis sur quatre générations, de l’arrière-grand-père de 98 ans à l’arrière-petit-enfant de quelques mois.
Coronavirus oblige, nous avons dû reporter l’événement. Pour marquer le moment, Anne, l’autre auteure de ce blog, a proposé une photo de famille sur Zoom, hier, le 2 mai, à 18h30.
Anticipant la panne de réseau / le code de connexion qui ne marche pas / le son qui ne sort pas, j’allume mon ordinateur à 18h20. A 18h25, je rejoins le groupe, et, surprise, tout le monde ou presque est déjà là, chacun ayant anticipé le problème technique pour être à l’heure.
Afin de cadrer un peu l’opération ‘photo de groupe’, j’avais suggéré, sur le fil WhatsApp créé pour échanger entre nous pendant le confinement, de désigner un maître de cérémonie. Personne ne s’est proposé, et c’est tant mieux : nous voir installés chacun dans nos petites vignettes Zoom, dans une heureuse cacophonie, est réjouissant.
Bruno, mon oncle, qui est avec mon grand-père, demande : « Comment on fait pour afficher les écrans en mosaïque ? ». Ceux qui l’entendent répondent : « Tu vas en haut à droite et tu cliques sur ‘Affichage’ ». La réponse est doublée d’une explication sur le fil WhatsApp au cas où il n’ait pas entendu.
A chaque fois qu’un nouveau membre se connecte, on entend : « Ah ! Voilà Laure ! », ou « Ah ! Voilà Françoise ! ». C’est aussi l’occasion de se rencontrer officiellement : parmi nous, certains ne se sont encore jamais vus, comme Marine, la compagne de mon cousin Vincent depuis quelques années, et Anne, qui, vous l’avez compris, est régulièrement barrée en bateau à faire des ronds autour du Cap Horn et rate par conséquent certaines réunions familiales – on ne peut pas être partout en même temps.
Marie-Annick, ma mère, a réussi à se connecter sans difficulté – sa crainte avant le rendez-vous : « Moi, je ne suis pas douée avec tous ces trucs-là » Mais quand même : son micro se coupe. Quand elle le reconnecte, elle demande : « Est-ce que vous m’entendez ? » On répond : « Oui, oui, mais on ne voit pas Sylvain ! » Sylvain, c’est mon père. Comme il est petit, peut-être qu’il est hors caméra. Ah non, ce n’est pas ça ! : comme il est de couleur marron et que la pièce où il se trouve manque de lumière, on ne le voit pas, à part ses yeux et ses dents. Quelqu’un dit : « Mettez-vous dans la lumière, qu’on voie Sylvain ! »
C’est l’occasion aussi de faire la connaissance des derniers bébés de la famille. Gaspard, le fils de Véronique et Pino, Tino, le fils de Cécile et William, qui se tiennent bien sagement devant la caméra. Globalement, d’ailleurs, les enfants sont plutôt sages, et c’est tout à leur honneur : rester tranquille derrière une caméra devant un tas de gens qui vous regardent et que vous ne connaissez pas, ou à peine, n’est quand même pas chose aisée. Bruno demande : « Quelqu’un sait comment faire une photo en mosaïque ? » On lui répond : « Il faut que tu ailles en haut à droite dans ‘Affichage’». Marie-Annick demande : « Vous nous entendez ? ». Je lui envoie un sms : « Oui, on t’entend, et on voit même Papa. » Anne fait le pitre et approche ses narines de la webcam de son ordinateur. Bruno dit : « On aurait dû être tous réunis autour de Grand-Père, alors il va faire un discours ». Puissance du grand âge, respect du statut de patriarche, miracle : tout le monde se tait. Même Anne met son Gorfou de côté, l’une des mascottes de ce blog, qu’elle avait sorti pour amuser la nombreuse galerie. Grand-Père : « Bonjour à tous. Alors, comme il y a beaucoup de bruit, je n’entends pas tout, j’imagine que vous non plus, vous ne m’entendez pas vraiment ». Fin du discours. En même temps, dans ce contexte, c’était déjà bien d’essayer. Et surtout, cela fait une expérience de plus : qui peut se gausser, à 98 ans, d’avoir fait une réunion de famille sur Zoom et prononcé un discours ? Le sondage est lancé à l’échelle nationale. Réponse : que Grand-Père André. Chapeau.
Premières tentatives : l'équation impossible. Il est environ 18h43. Anne écrit sur une feuille la date de la nouvelle cousinade (octobre 21) et montre le papier à la caméra. C’est en effet plus efficace que de tenter une annonce audio. Les uns et les autres prennent note. Quelqu’un dit : « On fait la photo ? ». Bruno dit : « Mais je ne sais pas comment faire la photo en mosaïque sur Zoom ». Plusieurs répondent : « Ce n’est pas grave, on va faire des captures d’écran ! ». Quelqu’un dit : « Mais il manque Damien ! » - notre cousin aide-soignant à Cochin qui n’a pas trop que ça à faire en ce moment, des photos de cousins virtuelles sur Zoom. Clémence, sa sœur, répond : « Il pensait arriver vers 18h30, je n’ai pas de nouvelles, on ne va pas l’attendre. » Premiers essais de photos, précédées de « Ouistititi », « Cheese », « Un, deux, trois… ! », prononcés à intervalles différents, ce qui donne immanquablement des photos prises à intervalles différents - par exemple, pendant que l’un dit ‘Trois !’, ce qui l’immortalise avec la bouche grande ouverte. Quelqu’un s’écrie : « Mais il manque Françoise ! » On imagine bien qu’au moment où son absence a été découverte, elle a reçu au moins dix sms disant : « T où ? T plus là ! Tu fais kwa ? » Françoise réapparaît. « Aaaaaaah ! » général de soulagement. On reprend la série de captures d’écran. C’est Florian, notre petit cousin de 22 ans, qui s’en charge : comme il est en école d’ingé’ et issu de la génération Y, c’est notre caution ‘photo de groupe techniquement réussie’. Même désordre pour le top départ : Ouistiti / Cheese / etc… Visiblement, le résultat est très satisfaisant, car en le voyant, Robert, son père, éclate de rire. Bon, il va falloir refaire quelques clichés, mais quand même, on touche au but. Sauf que quelqu’un crie : « Voilà Damien, voilà Damien ! » Il est 18h52. 22 minutes de retard et Damien n’a à peu près rien raté (si j’avais su). Il s’installe devant la caméra avec ses enfants, que certains d’entre nous ne connaissent pas encore : « Oh, comme ils sont beaux ! Oh, salut Eden ! Salut Nora ! ». Damien fait son possible pour canaliser la petite Nora, plus prompte à aller gambader. On recommence la photo. Cette fois-ci, c’est la bonne : on est tous là, on est tous mobilisés, on-est-prêts ! Florian dit : « A trois ! Alors : Un ! Deux ! Trois ! » Une partie de ceux qui l’ont entendu sourit. L’autre partie de ceux qui l’ont entendu grimace, parce que c’est plus fun. Ceux qui ne l’ont pas entendu ne sourient ni ne grimacent. Ma mère dit : « Ah non, pas de grimaces ! » (ça fait quarante ans qu’elle tente de prendre mes frères en photo sans qu’ils grimacent. Peine perdue : pas une seule photo avec un sourire normal, mis à part sur les portraits d’identité avant qu’on ait l’obligation de faire la tronche pour les documents officiels).
Tentatives suivantes : on en a perdu au moins un. Pour multiplier les chances d’une photo réussie, chacun y va de sa capture d’écran. Les résultats affluent sur le fil Whatsapp en même temps. Clémence, la mère de Florian (et la sœur de Damien, et la femme de Robert… tu suis ?) suggère qu’on finalise la photo de famille à coups de montage sur Photoshop, pour remplacer ceux qui grimacent par une vignette où ils sourient, trafiquer un sourire à ceux qui ne sourient pas, mettre la vignette de ceux qui étaient là et qui ont subitement disparu pour accident de connexion, fermer la bouche à ceux qui l’avaient ouverte, ajouter ceux qui n’étaient pas présents et qui ont envoyé un selfie, etc. Sous la pression des cinquante-quatre membres de sa famille, c’est Baptiste qui s’y colle. Il ne lui aura fallu pas moins de son dimanche après-midi pour nous rendre photogéniques : saluons un travail d’orfèvre.
Il est 18h59. Ma mère dit : « On en refait une avec que les cousins ? » Mon frère Luc : « Mais non, Maman, c’est une blague ?! » (il a pris sur son temps de travail pour venir faire la photo, puis faut avouer que repartir pour une demi-heure, c’est un coup à vous dégoûter de la virtualité et de la famille : or, en ce moment, on a besoin des deux).
Alors, on en fait une dernière. Puis on applaudit. Je rectifie : on s’applaudit. Parce qu’on est une belle grande famille, qu’on s’entend tous bien, et qu’on aurait adoré pouvoir se voir tous ce foutu week-end. On se dit : « C’était un super moment, c’était bien de rencontrer les derniers arrivés dans la famille. » Tout est virtuel, sauf l’émotion, qu’on pourrait attraper dans l’air par poignées. On fait coucou, au revoir, on agite les mains, même les bébés. Puis on se déconnecte, les uns et les autres. Nouveau sondage : quel est le taux de cousins qui a versé sa petite larme ou qui a senti son cœur se serrer après voir fermé son PC ? On attend encore la réponse, mais on parie sur un taux élevé.
Dernières tentatives : on prend l'option montage.
Il est 19h05. On n’aura jamais mis qu’une demi-heure pour prendre ces photos. D’après les professionnels, pas pire que si on l’avait fait en vrai, le temps de réunir tout le monde, de rattraper les enfants repartis jouer, de se placer face à l’appareil, les petits devant, les grands derrière. Sauf que chez nous, en plus, tout le monde est petit, ce qui rend encore plus complexe les photos de famille. 19h06 : sur WhatsApp, les premiers messages : « C’était super de se voir, c’était le bordel mais c’était drôle, merci pour la super idée ! ». D’ici la vraie cousinade, le temps va sembler long. Sarah suggère une photo chaque mois d’ici là. La bonne idée. Maintenant qu’on a fait la photo de famille zéro, on sera plus efficaces pour les prochaines. Et ça se trouve, on arrivera même à se donner des nouvelles.
Grâce à Baptiste et ses talents de Photoshoper, nous voilà immortalisés et beaux !
Crédits photos : la grande famille R.
Bravo Julie !
Compte-rendu parfait,drôle et émouvant de ce bel épisode de notre cousinade confinée virtuelle.
Riches idées , Anne ,que la création de Whatsapp Recoulade et de cette photo , qui ont fait une réussite de cette rencontre que l’on aurait pu croire complètement loupée !
Merci mes nièces, neveux, enfants , mari , beau-père, beaux frères , belles sœurs, petites filles, petits neveux et nièces , pour cette belle et sympathique famille, qui nous apporte affection, tendresse et soutien , dans ces moments éprouvants...