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  • Photo du rédacteurJulie Guinony

La vie désordinaire - #2

Confinés dans l’espace, perdus dans le temps, en cours de reprogrammation ?


Voilà vingt jours que nous sommes confinés, et progressivement, notre rapport à l’environnement se modifie.

Dans les maisons, à force de tri et de rangement, on maîtrise les moindres recoins de ses tiroirs. En appartement, on aimerait pousser les murs, faire tomber les cloisons, ou on contraire, si l’on a des enfants turbulents, se confiner dans le confinement, dans un placard, la salle de bain, qu’importe, pourvu qu’on ait la paix.

A la campagne, impensable mais vrai, les habitants du village, qui ont pour la plupart un jardin, sortent des sentiers battus et repoussent les limites, de la géographie et de la légalité : lors d’une sortie en VTT, on constate que jamais il n’y avait eu autant de monde dans la forêt. Les seuls êtres vivants que l’on croisait jusqu’ici étaient plutôt des chevreuils apeurés.

Quant à ceux qui n’ont pas le choix que d’aller au travail, ils empruntent des routes et des transports désertés : là où ils restait une heure dans les bouchons, attendaient collés aux autres de pouvoir monter dans un wagon, c’est l’espace infini, celui qui donnerait plutôt envie d’aller au bout de la ligne, de l’horizon, en deux-deux, mais non.



Le temps aussi est différent. Pour ceux qui ont des enfants à la maison, les déjeuners en famille donnent le sentiment que c’est tous les jours dimanche. Les gâteaux au yaourt, qu’on est plutôt mercredi. On se plante sur le jour de sortie des poubelles, les heures de visioconférences, et le changement d’heure achève de nous perdre.

A Paris, où le drive explose sous la demande (à J+21, le logiciel ne sait pas faire), le meilleur moment pour faire ses courses s’avère être entre midi et deux. A 13 h, chez Monop’, on serait presque à se balader tranquille dans les rayons : eh oui, tout le monde est en train de manger des pâtes à la maison.

Pour certains télétravailleurs, les horaires s’allongent, empiètent sur le temps passé avant dans les transports. Vingt jours de confinement, et toujours autant de boulot. Un recruteur a répondu à mon message vendredi à 19h40 : puisqu’on ne peut plus partir en week-end ou aller au ciné, autant bosser…




Et pour le courrier, il y a comme un léger différé. Télérama arrive avec une semaine de retard. En enlevant le film de protection, on est surpris par la sensation : sous les doigts, le magazine est moins épais. Forcément : pas événements, pas d’information ; pas d’annonceurs, pas de publicité.

Les comportements commencent eux aussi à changer. Quand on revient des courses, on appuie sur la poignée de la porte avec le coude, on file se laver les mains, on s’adresse à ses proches en restant à deux mètres d’eux, comme s’ils étaient ‘les gens’.

Même le chien développe un nouveau réflexe pavlovien : avant le confinement, le bruit du k-way qu’on zippe et de la chaussure qu’on lace était le signal d’une balade. Maintenant, c’est le bruit de l’attestation que l’on plie qui le fait se dresser sur ses pattes arrière, prêt à aller faire un tour.


(c) Anne Recoules

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