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  • Photo du rédacteurJulie Guinony

La vie désordinaire - #5


Nos rêves déconfinés


Comme nous l’avons évoqué dans un précédent article, l’impact du confinement sur le sommeil a fait l’objet de nombreux sujets dans les médias. Un article de Sciences et Avenir a exposé récemment les résultats de recherches effectuées sur les rêves durant ces mois où nous avons du cesser nos activités, modifier nos rythmes, limiter nos déplacements.

Les études montrent qu’entre les réveils nocturnes et l’intensité des émotions, générés par la situation, les personnes interrogées se souviennent davantage de leurs rêves au réveil. Deux types de rêve ont été mis en évidence : d’un côté, des rêves traduisant l’angoisse provoquée par le contexte, portant sur la mort, la séparation, la maladie, l’isolement, et évoluant après quelques semaines de confinement vers des images avec du papier – l’attestation de sortie -, des trains, l’habitat modifié ; de l’autre, des rêves portant sur la fête et les échanges : le cerveau compense en rêve ce qu’on ne peut plus vivre dans la journée.


Au début du confinement, ma tante Françoise a raconté son rêve : « Je suis en vélo. Je parcours monts et collines, le paysage s’étend devant moi à l’infini... J’arrive en ville : un policier au feu rouge. Ma ceinture de sécurité s’est détachée. Je la remets. Dans ma précipitation, j’ai oublié mon attestation de sortie. Le policier est très occupée à verbaliser une automobiliste. Je passe incognito.


J’ai toujours mes chaussons aux pieds : ils sont trop grands, ils m’empêchent de bien pédaler. Je n’ai pas prévu de chaussures de rechange.


Qu’importe, je continue à avancer par monts et forêts vers la liberté. »


Depuis, elle a fait d’autres rêves dont elle se souvient moins nettement, mais où elle est toujours en vélo.



Début mai, après avoir échangé avec une amie vigneronne dont l’activité commerciale a été totalement stoppée avec le confinement, je rêve que son compagnon et elle, faute d’avoir recouvré tous leurs marchés, diversifient leur activité, comme tant d’autres entreprises dans ce contexte. Producteurs de vins nature dans la réalité, ils développent dans mon rêve une marque de vêtements en laines et cotons bio, rémunérant les artisans au juste prix. La boutique est faite de matériaux naturels comme des cloisons en résidus de bois, et l’éclairage y est doux – un peu comme à la Vie Claire, où je vais beaucoup faire les courses en ce moment, et un lieu de coworking où j’allais avant le confinement. J’essaie une veste en laine que je trouve très jolie, et accessible – 120 € -, compte-tenu de la qualité de la confection. Je m’apprête à l’acheter, et je me réveille. Quelques heures plus tard, je réalise que le motif de la veste m’est familier : il correspond à celui d’une serviette de toilette que j’ai l’habitude d’emprunter à mes parents quand je vais les voir !




Quelques jours plus tard, je rêve que je suis dans un lieu qui ressemble à un gymnase. L'endroit n'est pas très agréable : éclairage aux néons, atmosphère bruyante, mouvements incessants. Le lieu grouille d’un public a priori constitué essentiellement de femmes, vêtues de survêtements noir ou bleu marine, qui courent, sautent, jouent au ballon.

Je suis avec des amies de mon village, nous sommes assises sur le sol dans un couloir, et nous parlons de nos dernières lectures. Nous faisons quelques mouvements de gym. Je sors mon flacon de solution hydroalcoolique de ma poche et leur explique comment l’utiliser pour faire des exercices pour muscler les bras, démonstration qu’elles suivent avec peu d’intérêt – dans la réalité, nous préférons les livres à la muscu. La foule autour de moi m’oppresse, je voudrais partir.

Ce rêve, assez confus, me renvoie à une période de mon adolescence où je partais en stage de danse, l’été. Les stagiaires, essentiellement des filles – les garçons étaient rares, dans la danse -, avaient pour obligation de porter des tuniques noires. A défaut, le bleu marine était toléré. Par ailleurs, au même âge, je détestais le sport au lycée, et je n’avais pas le choix que de prendre part aux séances de basket et de volley, dans les gymnases bruyants, qui sentaient le plastique et les pieds.



Un autre rêve, deux semaines avant le déconfinement. Mon mari et moi nous rendons à une fête, organisée par les mêmes amis vignerons, qui, dans la réalité, doivent se marier cet été et ne savent pas encore si l’événement peut être maintenu. Comme le lieu est loin de chez nous, nous sommes logés dans un appartement avec d’autres personnes. Nous arrivons dans une résidence d’immeubles assez haut, avec très peu d’espaces verts. Les parkings sont déserts.

L’appartement où nous logeons est vide. Nous posons nos affaires dans l’unique pièce fermée où se trouve un lit. Le reste du logement représente un espace très grand, tout blanc, avec un mur de baies vitrées, sans aucun meuble. La fête n’aura pas lieu dans cet endroit, cet appartement ne sert qu’à héberger les invités. Nos amis arrivent et nous demandent de nous installer plutôt dans la grande pièce : la chambre est réservée. Ils doivent apporter des matelas pour la grande salle un peu plus tard. Je sors mes affaires pour la soirée de ma valise cabine, celle que je prends d’habitude lorsque je vais à Paris en avion : un pantalon noir et des chaussures un peu chics. Je réalise que la chemise que j’avais pensé prendre est en fait un haut de pyjama. Qu’importe, ce n’est pas flagrant, cela ne m’empêchera pas d’aller à la fête.

Nous nous rendons, Pierre, mon mari, et moi, dans la cuisine, toute petite. Deux amis sont arrivés. Dans la réalité, je les vois très peu souvent, ce qui ne m’empêche pas de les adorer. Dans ma représentation, ils sont pour l’incarnation-même du fêtard. Nous cuisinons ensemble en discutant en toute légèreté, physiquement proches les uns des autres.

Il est l’heure de se préparer pour la soirée. Je m’approche de ma valise : mes chaussures ont disparu. En revanche, mes sur-chaussettes de laine noire, qui me servent habituellement de chaussons à la maison, sont là. Je m’en fiche. Pantalon noir, haut de pyjama, chaussons : je m’amuserai et je danserai quand même !


Un dernier rêve, celui de Pierre, qui est instructeur aéronautique. Depuis le début du confinement, il télétravaille mais a du assurer une formation théorique fin mars dans les bureaux d’Airbus. La situation n’était pas inquiétante : les stagiaires étaient cinq, n’avaient pas voyagé les semaines précédant la formation, les conditions sanitaires étaient respectées. Fin mai, il doit retrouver cette équipe pour finir la formation, pratique, cette fois, qui se déroule directement dans l’avion. Habituellement, les stagiaires et l’instructeur sont sept dans le cockpit, très près les uns des autres, ce qui ne paraît pas envisageable dans ce contexte. Quelques jours avant le déconfinement, Pierre rêve qu’il se trouve dans une salle de formation avec deux stagiaires. La pièce, très petite, ne permet pas de garder les distances de sécurité. Personne ne porte pas de masque et Pierre ne peut s’empêcher de postillonner sur ses interlocuteurs !



(c) Quovidis/JA/MAA

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