Avec le confinement, l’atmosphère est-elle vraiment plus calme ?
Depuis mi-mars, c’est terminé. Plus de bruit sourd au-dessus de la maison, plus de passage du mur du son, plus de traces blanches dans le ciel : il a été déserté par les avions. Les autoroutes, les deux-fois-deux-voies, les périphériques ont pris des allures de chemin de campagne. On y compte un camion par minute : du jamais vu, du jamais entendu. A la station RER de Châtelet, où aux heures de pointe, les bips stridents validant les pass Navigo et les bruits mécaniques des portes automatiques agressent les tympans, c’est Paris au mois d’août en avril : les pas résonnent sur le revêtement. Pour un peu, on serait tenté d’aller travailler en tongues pour le plaisir d’entendre la semelle qui claque sur le talon et de se dire que l’été est arrivé.
Tout est calme, anormalement calme, mais quand même : cette pollution sonore qui disparaît, ça fait du bien. Plus de passage sur les boulevards : la nuit, le sommeil est meilleur. Le jour, la fin des bouchons marque aussi celle des coups de klaxon. C’est une agression de moins. A 90 sur la file de droite, coude à la portière, on entendrait presque le chant des oiseaux. Si on faisait abstraction de la situation, aller au travail serait un moment de détente. De détente, vraiment ? Sur la route, peut-être, mais à la maison, pas forcément. Puisque depuis mi-mars, tout le monde, ou presque, est chez lui. Les bruits des voitures ont déserté la rocade pas très loin d’ici, mais en cas d’appartement mal isolé, pas sûr que l’on gagne au change…
Ces coups assénés à intervalle réguliers de l’autre côté du mur du salon : c’est sans doute la voisine, en chômage partiel, qui s’est lancée dans une opération de bricolage et change les carreaux de la salle de bain – elle enlève les anciens. Ces bruits de talons qui viennent du plafond : il semblerait que les voisins du dessus télétravaillent et s’habillent comme s’ils y allaient, chaussures de ville au pied, claquement pénible sur le parquet contrecollé toute la journée. Ce ‘poc, poc, poc, poc, poc’, ce sont les pas d’enfants en bas âge qui se défoulent dedans puisqu’on ne peut pas le faire dehors – pour eux, sachons faire preuve de compréhension. Parfois, c’est aussi son propre ado qui s’assoit à la table de la cuisine transformée en bureau et regarde des vidéos de chat sur son téléphone, volume à fond. Tant pis si on est en visio. On fait aussi parfois des découvertes plus intimes dont on se serait bien passé, comme en témoigne Anne, l’autre auteure de ce blog : ces colocataires du 3e qui nourrissent une passion pour les chants grégoriens, écoutés fort et de préférence à 2 h du matin. Alors, évidemment, dans tout ce boucan, on se prend à rêver d’une maison à la campagne.
Citadins, dans ce cas, je vous arrête tout de suite : n’ayez pas de regret. Car à la campagne, même si la promiscuité est moindre, l’atmosphère n’est pas forcément paisible. Lisez plutôt. A dix heures pétantes, c’est parti : le voisinage se transforme en un grand bruit de moteur. Chacun y va de son tracteur pour tondre la pelouse, de son rotofil pour couper les herbes folles, de sa tronçonneuse pour tailler la haie. Les coquillettes de midi sont à peine avalées que déjà, karchers et broyeurs vrombissent ; le ratissage des allées reprend – ch, ch, ch – son rythme régulier. Ici aussi, on casse les carreaux de la terrasse à coup de burin pour refaire les joints. Parfois, c’est même une mini-bétonneuse que l’on actionne pour refaire la dalle du garage. Parole de confinée : faire la sieste, comme trouver de la farine ou du chocolat pâtissier, devient un peu un challenge quotidien. Avec la mise à l’arrêt de la production et du trafic routier, on a aussi beaucoup parlé de la pureté de l’air, d’horizon qui se dégage, d’étoiles à nouveau visibles, de chape de pollution qui disparaît. Citadins, profitez-en bien avant que tout ne reparte comme avant. Et sachez-le : l’air pur, à la campagne, c’est aussi du chiqué. L’agriculteur du coin répandra bientôt des pesticides sur les cultures. Et pour l’heure, avec tous ces déchets verts qu’il faut brûler, chaque soir, le voisinage est un grand nuage de fumée, jusqu’à la nuit tombée…
Crédits photos : Quovidis/JA/DW
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