Ecole à la maison : stop ou encore ?
Alors que les conditions du retour à l’école se clarifient, tout en laissant perplexes les acteurs concernés quant au réalisme de leur mise en application, après six semaines de confinement, c’est le moment de faire le bilan de l’école à la maison.
Jeudi 12 mars. L’information tombe comme un couperet : les établissements scolaires ferment, les cours se feront désormais à distance. Le week-end qui suit est consacré en partie à comprendre les nouvelles modalités d’enseignement, l’organisation familiale à prévoir, et à la définition d’un cadre, orienté par les parents et si possible validé par les enfants, pour que le travail puisse se faire dans de bonnes conditions.
Volontaire, optimiste, chaque famille met au point son planning ou son calendrier et à la fin du week-end, les frigos, murs de chambre, de toilette ou de couloir sont décorés de jolis emplois du temps de couleur. En filigrane, le message des parents : enfants, maintenant que c’est écrit, décoré, accroché, vous êtes en-ga-gés.
Samedi 14 mars : Chez Vincent et Marine, Lison, Louise et Ella ont fait leurs emplois du temps.
Si les jours suivants nécessitent pour certains le rappel du cadre – lever avant 14h et bureau dégagé pour les ados, pas de partie de Lego avant que les devoirs ne soient finis pour les enfants rêveurs -, la question ne se pose pas chez Emmanuelle et Christian, couple franco-gallois vivant à Londres. L’école de leurs trois enfants, accoutumée aux cours à distance et disposant des moyens adaptés, a très vite diffusé les consignes en amont. Entre autres : pas de téléphone pendant les cours, une tenue correcte - on ne ‘vient’ pas en pyjama - et de la ponctualité. L’école en ligne commence tous les jours à 8h30. Gare à celui ou celle qui ne se connecte pas à l’heure : il écope d’un billet de retard.
A l'école franco-anglaise, tenue correcte exigée et connexion à l'heure sous peine de billet de retard.*
Les séances d’école à la maison diffèrent en effet d’un foyer à l’autre, selon la classe de l’enfant, l’accessibilité ou non aux ressources en ligne - le Cned ne propose pas de cours pour les filières techniques par exemple -, les outils technologiques mis à la disposition des enseignants, les moyens de connexion au sein de la famille.
Chez Adèle, mère de trois enfants âgés de 6, 14 et 15 ans, les deux premières semaines de cours ont été cauchemardesques : arrivée massive de leçons et de devoirs par des canaux différents, peur de rater une consigne ou une impression de document, assistance permanente des enfants pour expliquer, accompagner, surveiller. Lorsque les vacances sont arrivées, elle a instauré une journée d’école sur deux et souffle… en reprenant son activité professionnelle.
Pour d’autres, ce nouveau rôle de 'parent-enseignant' est plutôt bien vécu, comme pour Emeline, dont le travail est mis en suspens avec la crise. Mère d’une fillette de six ans, elle apprécie d’avoir plus de temps pour suivre le travail de classe. Même constat pour Vincent, qui supervise les devoirs en télétravaillant, et s’amuse de découvrir « qu’on ne fera pas des Prix Nobel » de sa fille de 8 ans et de ses deux belles-filles de 9 et 11 ans. Pour Etienne, père d’Alizée, 7 ans, ce suivi scolaire a permis de réaliser que l'une des deux maîtresses de sa fille envoie parfois des exercices avec des erreurs dans les énoncés. C'est l'occasion de les corriger ! Ce qui n'empêche pas père et fille de faire du zèle. Le 1er avril, Alizé a envoyé à sa maîtresse un exercice sur des équations à une inconnue et des conjugaisons du passé simple. Tout était juste, mais l’institutrice a supposé qu’il s’agissait d’une erreur, « peut-être du travail d’un grand frère ou grande sœur ? » Elle n’a compris qu’après coup que c’était une bonne blague de poisson d’avril.
1er avril : Alizé a fait du zèle en envoyant de faux devoirs justes à sa maîtresse.
Autonomie, autonomie
Chez les ados, le mot d’ordre parental est plutôt ‘autonomie’, ce qui pourrait s’apparenter à un défi pour une génération biberonnée aux écrans – téléphone, jeux vidéos, abonnement Netflix – et un troisième trimestre qui ne comptera pas, alors pourquoi travailler (sic).
Karl et Alexandra ont quatre enfants. Alexandra avait peur « d’être tout le temps sur le dos de [leurs] fils, jumeaux de 15 ans, pour le travail, avec les conflits que cela peut engendrer. Mais c’est tout le contraire. » Les garçons mettent leur réveil et commencent à travailler dès 8 h du matin, en toute autonomie. « Le deal ‘pas d’écran tant que les devoirs ne sont pas faits’ y est sans doute pour quelque chose », sourit-elle. Clémence, qui télétravaille elle aussi fait confiance à sa fille de 16 ans et se montre par ailleurs disponible pour des jeux de société ou des recettes de cuisine quand le travail est fait. Chacun.e trouve le cadre qui assurera une scolarité à domicile sereine.
Ecole à la maison J1 : bureau dégagé, cahiers ordonnés. A J45, il manque l'essentiel : l'élève.
Le moment le plus sympa, pour les parents comme pour les enfants, est sans doute celui où toute la classe se réunit virtuellement, recréant l’illusion d’un partage. Certains petits malins, comme dans l’école de Lily, 14 ans, la fille d’Emmanuelle et Christian, cachent leur tablette dans un endroit incongru pendant le cours, comme le réfrigérateur ou le four, pour mesurer l’effet produit. Certains individus, qui n’ont rien à voir avec la classe, l’intègrent aussi en composant un code d’accès au hasard. C’est ce qui est arrivé pendant le cours de Tom, 19 ans, où un usurpateur a posté un message ‘You look so sexy’ à l’attention de la prof, avant d’être évincé par les élèves. Mais ces blagues ou incartades ne viennent pas ternir l’atmosphère, et les uns et les autres, élèves et enseignants, ‘ressortent’ de leur classe en général ravis de ce temps de sociabilisation scolaire.
L'école maternelle à la maison
Et comment ça se passe chez les plus petits ? En troisième année de maternelle, Lola sait déjà lire et écrire. Même si l’école est faite sérieusement le matin à partir de ce qu’envoie le maître, le travail est vite achevé et l’enfant peut alors vite retourner à ses jouets. Le quatrième enfant de Karl et Alexandra, Maxime, 6 ans lui aussi, reçoit peu de travail. Alexandra s’improvise alors institutrice en recherchant des jeux éducatifs sur internet, qu’elle imprime et passe beaucoup de temps à découper. « Je rêve d’un massicot !’, dit-elle, l’objet ultime qui vous consacre en effet professeur des écoles.
Très vite fait, très bien fait : et hop, Lola retrouve son univers. Alexandra découpe, découpe, découpe...
La perspective que les enfants puissent retourner à l’école crée bien sûr un grand tiraillement entre peur de la contamination et le souhait de resociabiliser sa progéniture, renouer un lien réel avec les copains de classe et les enseignants. Les parents ont encore quelques semaines pour prendre une décision au regard des dispositifs que les établissements auront pu mettre en place.
En attendant, tous s’accordent à dire que cette école à la maison leur aura permis de se (re)faire une culture générale. Ces six semaines les ont amenés à maîtriser parfaitement (rayer la mention inutile) : le phénomène de l’érosion des côtes anglaises / la conjugaison du verbe choir au passé simple / l’ARN polymérase / la définition du keynésianisme / la différence entre un chiasme et une tautologie / les chapitres du cours sur la seconde guerre mondiale (I. Un conflit aux dimensions planétaires. II. Une mobilisation totale. III. Une guerre d’anéantissement).
Avec 60 000 morts évités comme communiqués récemment, ce sera l’autre gain du confinement.
L'autre gain du confinement : savoir conjuguer spontanément le verbe choir à la 1ere personne du pluriel au passé simple.
(c) Quovidis / JA / LA / ER / ER / VW
* Pour préserver l'anonymat du témoin, la photo a été floutée (NDLR)
"A l'école franco-anglaise, tenue correcte exigée et connexion à l'heure sous peine de billet de retard.*"...ils n ont toutefois pas précisé ou l élève devait etre a un bureau....😁