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  • Photo du rédacteurJulie Guinony

Tribute



A son passage, les paris étaient ouverts : ‘C’est un saint-bernard ? Mais non, c’est un terre-neuve. Non, c’est un patou. N’importe quoi, les gars, c’est un bouvier-bernois !», entendait-on fréquemment dans notre sillon.


En ville, rares étaient les passants à ne pas sourire à sa vue : pensez-vous, une grosse peluche à poils longs, dans un environnement où les caniches sont plutôt de mise, ça créait la surprise et suscitait l’émerveillement. De jeune du Mirail en bas de survêtement – « Oh, Beethoven ! J’ai vu Beethoven ! » - à l’homme qui vit dans la rue – « Y a pas plus gentil comme chien ! » -, elle faisait tomber les barrières sociales, générant des conversations que nous n’aurions jamais eu sans elle.



Pumpkin, 47 kilos de poils noirs, blancs et fauve, des pattes semi-palmées, une allure à passer des concours et un capital sympathie à l’égal de sa robustesse, s’est éteinte vendredi soir, à l’âge de neuf ans.


Sa bonne tête d’ours et sa tranquillité avaient conquis les cœurs, même les moins sensibles à la gente canine : « Je n’aime pas les chiens, sauf Pumpkin », nous avait confié un jour une amie.


Dans la maison de mes parents, où l’on n’avait pas l’habitude d’accueillir les animaux dans la maison, elle avait progressivement gagné du terrain : de l’enclos sous l’appentis, elle avait eu l’autorisation de venir dans la cuisine, avant de finir sous la table de la salle à manger.

Un dimanche, elle s’était d’ailleurs allongée sur les pieds de mon grand-père, peu porté sur les animaux domestiques, qui s’en était amusé. « Sacré toutou qui aura su se faire une place dans la famille, écrit un cousin. Même à Bressolles, elle aura surpassé tous les codes de la maison. »




En balade, c’était une chienne heureuse, qui trottinait oreilles au vent et humait l’air pour décoder les messages.


Vaillante, elle a gravi le mont Valier en Ariège à plusieurs reprises et randonné dans le massif du Mont-Blanc. Nageuse, elle suivait son maître en paddle sur un lac près de la maison, s’est baignée plus d’une fois dans les criques de Beg-Meil, s’est laissée aller dans le courant des rivières sans paniquer.


Mais c’est dans la neige que s’exprimait le plus sa joie de vivre : ses racines suisses refaisaient surface, et l’on s’esclaffait alors en la voyant plonger la tête la première dans la poudreuse, s’y rouler toute entière puis se laisser glisser sur le dos telle une luge le long d’un pan enneigé.



Un membre de la famille : c’est ainsi qu’on la considérait, c’est ainsi que notre entourage la vivait. Elle a été de toutes nos sorties, nos balades, nos fêtes, nos virées, nos vacances.


Au moindre de bruit de lacet ou de fermeture éclair, elle se levait et penchait la tête, comme pour dire : « On part ? ». Pour peu qu’on ait sorti les bagages devant l’entrée, elle s’avançait progressivement jusqu’à la porte dès qu’on avait le dos tourné, jouant à une sorte de « un-deux-trois, soleil », auquel elle gagnait toujours. Nous finissions par la faire monter dans le coffre de la voiture quand bien même notre départ était loin d’être immédiat, pour qu’elle s’y installe et soit rassurée quant au fait qu’on l’emmenait.



En Bretagne, elle aimait les balades sur la plage, l’escalade dans les rochers, le froid de la dalle de Kervuyec, les soirées à la crêperie. Un jour, un restaurateur ‘tombé en amour’ en la voyant, lui avait même fait une beurre-sucre rien que pour elle.


En camping-sauvage, elle adorait devant notre tente : elle était même rentrée nous dire bonjour un matin, un bon test de résistance pour le matelas.


A Bressolles, elle surveillait les chats, mangeait leurs croquettes, rendait visite en douce au chien de la voisine. Elle avait imprimé ses rituels à chaque destination familière. Nantes, Angoulême, Montpellier, Collioure, Chamonix, Toulouse, Montauban, Bordeaux, Albi, Vichy, Aix-en-Provence… Les expéditions dans les villes étaient aussi une fête : nous avions tant de patrimoine à découvrir, elle avait tant de trottoirs à renifler. Pumpkin voyait du pays. « Elle sera partie plus que moi », a dit l’amie de notre fils.





Chienne paisible, sa vie l’était tout autant. Elle vivait sereine dans sa meute composée d’un papa, d’une maman, d’un frère et de deux sœurs, l’une humaine, l’autre chat, qu’elle protégeait avec assiduité. En promenade, elle veillait à ce que les premiers ne sèment pas les derniers, et que les derniers ne restent pas seuls, naviguant entre les uns et les autres, s’assurant que la meute était au complet.


Son quotidien était fait de joies le matin et de retrouvailles le soir aussi intenses que si nous l’avions laissée une semaine, de marches au bout du chemin, de visites à la voisine aux environs de 17h pour l’heure du goûter (un horrible morceau de pain industriel tout sec qui la ravissait).


Bonne pâte tranquille pourvu qu’on lui ait trouvé une surface de 4 m2 pour s’étendre, elle restait sage, observait, était preneuse de caresses, se laisser déguiser sans trop râler pour les besoins de Quo Vidis, n’offrait jamais d’opposition, tenait sa langue quand on lui confiait nos secrets.


La nuit, si l’on considère que la qualité de son sommeil était proportionnelle à la puissance de ses ronflements – l’équivalent de ceux de nos pères réunis, avais-je l'habitude de dire -, on peut en déduire qu’elle aura dormi comme une bienheureuse toute sa vie.


Du confinement, elle n’aura rien subi : cette période de privation pour les humains aura été pour elle synonyme de maîtres toujours à la maison, de balades quotidiennes et de séances de câlins plus fréquentes qu’à l’ordinaire.





Gourmande, Pumpkin appréciait tout : elle mangeait les figues directement sur l’arbre, adorait les mûres qu’on lui cueillait sur les chemins côtiers, croquait les trognons de pomme. Chapardeuse à ses heures, elle a à son palmarès l’engloutissement d’un plateau de fromage tout entier, de quelques steaks, d’une plaquette de beurre de 500 g, emballage compris, et de deux flans aux légumes sous un étal au marché réservés pour des clients. Parmi ses recels, le vol d’un cake aux olives attrapé sur la table basse et d’un pain entier à un voisin privé par conséquent de petit-déjeuner – on l’avait vue revenir à la maison portant la baguette en travers de la gueule comme un trophée.


Maline, elle avait compris que les glaces poussaient sur la digue du Val-André, les sandwichs sous les bancs publics et les frites sur la neige. Cette intégration nous avait d’ailleurs valu de faire demi-tour un jour où l’on avait tenté une balade dans les mélèzes : les frites étaient en train de pousser sous les tables des restaurants de la station, il fallait aller les ramasser. Elle s’était assise de toute sa masse sur le chemin verglacé et l’on n’avait pas eu d’autre choix que de céder : on ne faisait pas le poids pour la traîner.



Notre bonne chienne avait un cancer intraitable et nous l’avons laissée prendre le chemin des âmes. Elle repose dans notre jardin et bientôt, un grenadier veillera sur elle comme elle a veillé sur nous.

En partant, elle laisse un peu trop de place dans le coffre de la voiture et un vide affectif un peu trop grand. Il va falloir s’y habituer, mais il n’est pas certain que l’on y parvienne tout à fait.




(c) Quovidis / PG / MG / JA / CA

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