Confinée dans une classe de CE2. Voici le quotidien d’Alice, en temps normal. Institutrice en Isère, cette sémillante quadra - qui vient de fêter sa quarantaine en quarantaine - prend ce confinement avec philosophie. Cours à distance, correspondance avec les parents, vie de famille, projets musicaux à gogo : elle ne s’ennuie pas un instant. Alice, c’est un phénomène de créativité ambulante et chantante, que ce soit seule, à deux (voir ici et là) ou à quatre (par là). Entre la préparation de ses cours et deux créations musicales, elle a répondu à nos questions avec humour, légèreté et profondeur. Bref, pile dans le ton de ce blog. Au point qu’on se demande si on ne va pas l’embaucher...
Dis, tu es où et avec qui ?
J’habite un village isérois avec une histoire médiévale appelé Crémieu donc nous avons la chance de pouvoir profiter de quelques jolis vestiges qui rendent le confinement assez romantique ! Avec mon conjoint et notre fils de 5 ans, nous sommes locataires d’ un appartement donnant sur un petit bout de jardin. Il n’a pas plu depuis des semaines et l’herbe a été remplacée par une terre battue craquelée.
Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis le début du confinement ?
Je suis professeur des écoles donc d’un point de vue professionnel, le confinement a bouleversé mon travail. D’un métier intimement humain (une classe est un microcosme très dense et très riche en moments forts), je suis passée à une relation étroite avec mon ordinateur ! Il n’y a pas à dire, enseigner devant un écran c’est moins fatigant mais tellement impersonnel. Mes élèves me manquent. Contrairement à ce qu’on essaie de faire croire, un prof ne pourra jamais être remplacé par internet ou un robot. Il faut un lien d’imitation, de transmission d’émotions pour que l’apprentissage passe et pour cela, il faut une présence physique, j’en suis encore plus intimement convaincue aujourd’hui. Par contre, les chouineries, les éternuements en pleine poire, répéter 50 fois la même chose ne me manquent pas du tout… étrangement ! Je pensais que j’allais devenir totalement cinglée à la fin du confinement car je carbure aux relations sociales en mode hyperactive. J’avais peur de finir prostrée, en conversation avec mes plantes vertes. Je ne m’en tire pas si mal au final, ma plante verte est d’accord avec moi.
Tu t’habilles comment depuis le début du confinement ?
Ça dépend des jours. Si je dois faire une visio-conférence avec mes élèves, je m’habille, du moins en haut. C’est l’occasion ultime d’associer un chemisier classe à un bas de jogging troué : c’est du plus bel effet ! Le cheveu gras est de mise et je ne m’en rends compte que dans le regard d’une connaissance croisée au hasard de mes balades.
Tu fais quoi de tes journées ?
Malgré le confinement, mes journées restent très remplies par mon travail. J’essaie de motiver mes élèves à raccrocher les wagons, je réponds aux parents désemparés. Mon temps de travail a tendance à se répartir un peu tous les jours. Je perds la notion du temps, une pente très glissante... Une maman d’élève m’a appelé 4 fois un dimanche donc il n’y a pas que moi qui ne sais plus distinguer la semaine du week-end. La musique prend beaucoup de place au foyer. Mon conjoint nous propose le disque du jour pour écouter les œuvres de notre collection que nous avons que très peu écoutées (mais c’est parfois à juste titre). Avec un groupe d’amis musiciens, nous nous lançons le défi de création d’un morceau de musique par semaine à partir de contraintes. Je peux donc créer à loisir les titres les plus barrés, mon public est limité, ouf ! Je passe beaucoup de temps à cuisiner et à élaborer des stratégies pour utiliser mes fonds de placards. Je partage des instants de folie avec notre fils en jouant à « super mec » : je le fais valdinguer dans le ciel, il rit aux éclats en déclarant que franchement, je suis la plus drôle des mamans !
Tu trouves que tu bosses plus ou moins qu’en période normale ?
J’ai énormément travaillé les premières semaines jusqu’à ce que je comprenne que les parents d’élèves étaient débordés par les diverses injonctions enseignantes alors même que le gouvernement soulignait le fait que les profs, ne travaillant pas, pouvaient ramasser les fraises. J’ai donc tenté de trouver un juste milieu pour limiter un nouveau lynchage médiatique à charge contre ces profs qui ne foutent rien mais qui en plus, décidément, ne comprennent rien à la détresse parentale. Oui, c’est vrai que les profs ne peuvent pas comprendre ils n’ont pas d’enfants, c’est bien connu ! Nous ne sommes plus à une contradiction près, non ? J’ai privilégié la paix dans les ménages, le mien y compris. Les relations avec les parents d’élèves sont devenues douces, drôles et agréables. Du jamais vu ! De nombreux enfants et parents m’envoient des messages de reconnaissance. Une révolution dont je me délecte !
Tu arrives à trouver des moments pour rester seule ?
J’ai repéré un champ, à un kilomètre de chez moi. C’est le paradis, je vous l’assure mais je ne divulguerai pas ici l’itinéraire.
Tu as regardé des films / séries, lu des livres, tricoté des pulls ou fait des bracelets en macramé depuis le début du confinement ?
Je n’ai rien fabriqué, je n’ai rien tricoté, je ne sais même pas monter une étagère et j’attends qu’on me l’apprenne. Je pensais rehausser mon niveau littéraire en lisant La peste de Camus mais j’ai commencé à sécher à la 164ème page. Une enseignante ne devrait jamais dire cela. Quand, au hasard d’une conversation ou d’un réseau social (en bonne geek du WhatsApp), je me rends compte que certains ont eu le temps de lire l’intégrale de Nietzche, de faire un tri à la Marie Kondo*, ou finir un macramé, je me dis qu’une fois de plus, je suis en décalage avec l’actualité. Après des premières semaines pleines de bonnes résolutions, je me laisse aller à une crise de flemme aiguë et je ne pourrai pas « réussir » mon confinement à la manière des meilleurs influenceurs de la toile. Un confinement anti-conformiste, tout un programme ! J’ai regardé des émissions de téléréalité sur Netflix en me dédouanant grâce à mon parcours universitaire : j’ai étudié les médias et la communication, je sais prendre du recul sur la construction d’une émission de merde donc je m’octroie le droit de les regarder. Non, non, vraiment, une enseignante ne devrait JAMAIS avouer cela !
T’as pris du poids ?
Je crois, même si je fais du sport. Je ne me pèse jamais et j’attends que mes vêtements sonnent l’alarme !
Si tu veux ajouter quelque chose...
Plus personnellement, cette situation, j’entends par là, le confinement et la menace d’une maladie ressemble malheureusement à des événements de ma vie. Entre autres drames, j’ai dû faire face à la maladie grave et me suis retrouvée, de fait, « confinée » avec ce questionnement existentiel de la mort qui « rôdait ». Comme tout le monde aujourd’hui, face au Covid, je suis déjà passée par différentes phases : le déni, la colère, une grande anxiété mais je suis arrivée à l’acceptation. J’ai fini par comprendre que la mort est indissociable de la vie et que la maladie en est intrinsèquement une donne. Dans la nature, les arbres tordus trouvent aussi leur place. C’est ça aussi la vie : la maladie, la différence, le handicap. J’ai gardé en moi ce sentiment profond que tout est instable, que la vie peut basculer du jour au lendemain. Donc quand l’épidémie est arrivée, j’ai eu un réflexe d’humilité : un virus passait par là et il fallait que je me mette en retrait. J’ai l’habitude de vivre en mode « pause ». Je vis assez bien la situation car j’ai gardé de bons réflexes de survie : patienter, se concentrer sur l’essentiel et voir les petits bonheurs au jour le jour.
*LA papesse du désencombrement, son best-seller sur l’art du rangement s’est vendu à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde (NDLR).
Pour ceux qui n’avaient pas saisi qu’il y a avait des liens vers les différents projets musicaux d’Alice incrustés dans le texte de présentation, voici un petit rappel :
Diès’Elles : https://m.facebook.com/quatuordieselles/
Sinon il y a aussi sa chaîne Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCqb5n0x8ff0XwGpcxkqd55g
Et une génialissime reprise en français de « Kiss » de Prince : https://www.facebook.com/287438937991724/videos/249631399299483
Elle n'arrête pas, j'vous dis !
Bravo pour ce témoignage !