top of page
  • Photo du rédacteurJulie Guinony

Propos d'un confiné vulnérable - #6

Avant-propos

André, c’est notre grand-père, à Anne et moi, auteures de ce blog. Le 1er mai, toute sa famille - quatre enfants, quinze petits-enfants, dix-sept arrières petits-enfants, et les conjoints - aurait du être réunie pour une cousinade autour de lui. Confinement oblige, elle a été reportée.

En attendant de se revoir, nous pensions lui dédier un article. Finalement, il tient lui-même une chronique dont il a choisi le nom : "Propos d’un confiné vulnérable".

A travers huit épisodes au ton facétieux ou féroce, selon l’humeur et le sujet traité, André partage son quotidien de grand confiné. Une situation qui ne l’empêche de vaquer à ses occupations, et d’être débordé, comme à l’accoutumée.

Si vous avez manqué les précédents épisodes :



Propos d'un confiné vulnérable - #6


par André


Une soirée confinée


Il est 21 heures. La table est rangée, les informations sont regardées. Que faire ?

Télé, lecture, musique ?

Le plus simple est la télé. Mais je n'ai pas envie de retrouver la 7ème compagnie, ni d'accompagner les gendarmes. On oublie trop souvent les enregistrements : les bons programmes se situent vers 24 heures. J'en ai mis quelques-uns en réserve. Voyons Gisèle, ballet dramatique, en tutu, de la fin du siècle avant dernier.


Il est redonné dans sa version originale à l'opéra Garnier. Je suis subjugué par la qualité de la représentation, décors, interprètes et musique. Puis, comme l'intrigue ne me passionne pas, ni les prouesses techniques des danseurs classiques, je tombe dans une douce somnolence. N'est-ce pas mes grands-pères que j’aperçois au parterre : légèrement bedonnants, chaîne d'or tenant la montre gousset, œillet blanc, jumelle à la main pour mieux voir les danseuses ? N'est-ce pas Degas qui se tient derrière le dernier pilier à gauche, un carnet de croquis à la main ? Mais non, je rêve : mon grand-père paternel est en blouse grise, il apprend à lire et à écrire aux fils des mineurs de Carmaux dans une classe décorée du portrait de Jean Jaurès. Mon grand-père maternel est engoncé dans un sarrau bleu, son fouet autour du cou, il aide son cheval à remonter de la grève car le tombereau est lourd, chargé de marne et de goémon ; il s'arrêtera pour boire une bolée de cidre avant de continuer à monter la cote pour aller déverser son précieux chargement sur ses cultures et amender sa terre.


Les applaudissements me réveillent. La deuxième partie se passe la nuit, au clair de lune dans un cimetière, avec l’héroïne ressuscitée. Je crois que je vais aller me coucher. Un autre soir je choisirai mieux.


Cette fois, mon choix se porte sur L'enfant et les Sortilèges, fantaisie lyrique due à la collaboration de Colette et de Ravel. Elle date de l'année de ma naissance. Mes parents ne l'ont certainement pas vue, car ils habitaient Argentan, dans l'Orne. J'ai découvert cette œuvre, lorsque mes propres enfants ont eu l'âge de l'Enfant, grâce à des disques 78 tours, qui grattaient un peu mais ressuscitaient la magie des sortilèges. La fantaisie lyrique est reprise à l'Opéra de Lyon dans une version moderne : grand orchestre, décor noir, projection d'éclairs blancs, chanteurs indistincts dans le noir... C'est intéressant, je n'ai pas envie de m'endormir, notamment à cause du bruit de l'orchestre, mais je ne retrouve pas la magie de mes vieux disques gravés du temps où les auteurs étaient encore là. Où se tient la merveilleuse partition de Ravel ? Le Mieux est-il l'opposé du Bien ?


A suivre.



Le lilas confiné. (c) André R.

bottom of page